samedi 9 juin 2012

Happy Ending ?


Comment aurait dû se terminer le roman inachevé «L’Amérique»? Kafka a toujours laissé planer le doute quant à son dénouement final, laissant entendre tour à tour que son héros Karl Rossmann trouverait enfin au Théâtre de la Nature d’Oklahoma une profession, la liberté, un soutien et sa famille, ou au contraire qu’il finirait ses jours ignominieusement, exécuté comme un criminel (comme plus tard Joseph K. dans «Le Procès»).
Je n’ai pas l’intention de trancher et de donner une réponse dans mon adaptation. Je peux cependant, tout en laissant la question ouverte, chercher des pistes et avancer des hypothèses.
On pourrait imaginer que Karl est déjà mort dans ce dernier chapitre, le Théâtre de la Nature devenant ainsi une allégorie de l’au-delà. Le fait que les candidats à l’embauche soient accueillis à l’entrée par des anges jouant de la trompette, comme au Jugement Dernier, a une portée symbolique évidente.

    
Mais il y a d’autres indices, plus subtils, d’autres allusions macabres. À un moment donné, on montre aux nouveaux employés une série de photos du Théâtre. L’une d’entre elles représente la loge présidentielle, que Kafka décrit avec précision. La loge est décorée de portraits d’anciens présidents. L’un d’entre eux a «... un nez extraordinairement droit, des lèvres épaisses et des yeux fixes sous des paupières retombantes.», description qui semble bien s’appliquer à Abraham Lincoln.
Or, on sait que Lincoln est mort assassiné au théâtre, dans la loge présidentielle, justement. Pour cette raison, j’ai choisi, m’inspirant pour cela de documents d’époque, de représenter la scène quelques secondes avant l’assassinat, au moment où John Wilkes Booth, debout derrière le Président, s’apprête à sortir son arme. L’image peut paraître anodine au premier coup d’œil, mais la Mort plane...


Le nom du théâtre, maintenant. Pourquoi diable le plus grand théâtre du Monde irait-il se loger en Oklahoma, petit état rural et reculé du Sud ?
Il est vrai qu’avec Kafka, on n’en est pas à une invraisemblance près. Il semble que l’idée lui soit venue à la lecture d’un article dans un magazine, article intitulé «Idyl in Oklahoma», titre tristement ironique, puisqu’on y relatait une séance de lynchage en Oklahoma.
On sait que la chose était relativement courante à l’époque dans les états du Sud et que les condamnés étaient presque toujours des Noirs. Il en est question dans la chanson «Strange Fruit», interprétée de façon bouleversante par la grande Billie Holiday.



http://www.youtube.com/watch?v=wHGAMjwr_j8&feature=related

Pour en revenir à notre histoire, on se souviendra peut-être que Karl Rossmann le paria, l’éternel exclu, dépouillé de son identité après avoir dégringolé l’échelle sociale, s’est engagé au Théâtre de la Nature sous le nom de «Negro», ce qui pourrait laisser entendre que ce serait lui, le lynché de l’Idylle en Oklahoma.
Je l’ai donc représenté ainsi. Comme il s’agit d’une image purement hypothétique, ne faisant pas partie du récit comme tel, elle ne fera pas partie de l’album. Tout de même, ça m’a fait un drôle d’effet de le dessiner mort.


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